Il sort de l’usine, son vélo à la main. La cohorte des fourmis courbées le suit, le poids d’une journée de labeur sur leurs épaules. Certains, surtout les jeunes sourient, blaguent entre eux, savourant déjà les heures de liberté qu’on leur permet. Les plus vieux ont perdu ce regard, dans leurs yeux on peut lire la résignation. Ils savent ce que ces jeunes vivront et espèrent que leur vie n’est déjà pas toute tracée.
Nous connaissons les sorties d’usine, elles ont même été filmées dans un premier court métrage de cinéma ; les travailleurs y étaient mis en lumière (sans jeu de mots)
Le pire quand on rentre chez soi après une journée de travail à la chaine, est qu’on n’a rien a raconté à ses proches. Serrer un boulon pendant huit heures n’est pas racontable, on sent même une honte. Travailler à la chaine peut avoir deux sens ; la chaine dont on est le maillon qui fait qu’au bout une chose est fabriquée ; c’est aussi la chaine de l’esclave. Maintenant on nous attache à la machine, la presse, par mesure de sécurité.
Le travailleur aura vécu toute sa vie dans cette ambiance faite de bruit, de rythme, de peur que la chaine s’arrête à cause de lui. Il aura juste le temps d’aller aux toilettes, le contremaître regardant son chronomètre. Le chronomètre justement ; depuis que l’usine existe, le temps a pris son importance, il égrène les secondes rythmant les gestes des ouvriers ; ces gestes que l’on exécute chaque instant. Combien de secondes dans une journée de travail? Combien d’ouvriers ont dû les compter ? Une ouvrière déclarait « j’en arrive à préférer le travail répétitif, il me permet de penser à autre chose, penser au repas de ce soir, aux enfants etc. » J’ai apprécié ce dessin où les ouvriers, embauchant, laissaient leur tête au vestiaire pour ne la reprendre qu’une fois le travail fini. J’y pensais à chaque fois que je prenais le travail à l’usine.
Bien sûr l’ouvrier repense à tous ses ancêtres qui se sont battus pour avoir un peu plus de liberté, de considération. Ils ont vécu eux, le vrai esclavage, les douze, seize heures de travail journalier. Le manque d’attention, moins que pour la machine. La main d’œuvre, elle est là, il n’y qu’à se baisser, la machine, elle, a un coût. Si quelques grèves pointent, on fait appel à l’armée pour remettre de l’ordre. Au dix neuvième siècle, des barricades se sont dressées, tout de suite réprimées ; 3000 morts en 1848, 7000 en 1871 (commune). Des travailleurs se sont sacrifiés pour se faire entendre mais l’élite avait les moyens de les faire taire. L’orage passé, le cours tranquille reprenait. L’industriel faisant toujours de plus en plus de profit.
A la fin du siècle dernier on a commence à parler de travailleurs précaires cela n’a fait que de s’accentuer. N’est-ce pas une machination encore des puissants pour juguler d’éventuels soulèvements, La précarité devenant un endormissement de la volonté de se battre.
Petit à petit on a changé les mots, l’embauche est devenue demande d’emploi, les rôles se sont inversés, c’était tout bénéfice pour l’employeur qui revoyait à la baisse les salaires. Maintenant on ne parle plus de travailleur, ce mot est chargé de révolte, donc on scinde, on range, on cloisonne les gens dans des catégories hermétiques. Afin de les contrôler.
Les hommes naissent libres et égaux, foutaise ! Ce slogan a été trouvé par des nantis pour des nantis. Les fils, petits fils de ces industriels ont repris le flambeau. Ils sont sur un trône doré alors qu’ils n’ont rien accompli, cette vie ils la doivent aux gens qui ont donné leur sueur et leur vie. Les fils, petits fils des ouvriers ont, eux aussi, suivis la trace de leur père. Où est l’égalité ? Les différences ne cessent de se creuser les uns devenant de plus en plus riches, les autres plus pauvres encore. Maintenant les ouvriers travaillent pour les actionnaires et si les rendements financiers ne sont pas assez bons on délocalise, laissant sur le bord de la route les employés qui ont participé à l’essor de l’entreprise. Nos gouvernants, ignorants , pensent qu’il faut aider ces entreprises croyant naïvement à un ruissellement hypothétique. Combien a-t-on donné de milliards à des sociétés qui sont partie à l’étranger ?
Aujourd’hui l’ouvrier n’existe plus, les robots l’ont remplacé. Ces robots ne font pas grève ils travaillent 24h/24. Il serait justice qu’une partie des bénéfices soit reversée à l’état pour subvenir au besoin de ses travailleurs laissés au bord de la société.
A voir sur Arte : Le temps des ouvriers!
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