Amadou part avec son bidon sur la tête. Le soleil se lève, il se presse avant que la chaleur fige les êtres dans leur torpeur. Il a cinq km à faire aller retour. Son souci c’est la pompe, il espère ne pas la trouver en panne.
Pendant son parcours il longe cette ferme entourée de barbelés, il ne comprend pas pourquoi il ne peut regarder. L’autre jour il s’est arrêté pour voir ce qu’il y avait derrière cette clôture électrique; une Jeep est arrivée deux minutes plus tard et des hommes armés et masqués lui ont fait signe de dégager. En levant la tête il a aperçu une caméra sur un poteau. Cela attise sa curiosité.
Derrière cette barrière si Amadou pouvait voir, il y a des champs verts plus grands que des terrains de foot. La différence c’est qu’ils sont ronds. Une armature de métal, armée de petits arroseurs tourne sans arrêt irriguant les cultures.
Amadou passe vite son chemin depuis qu’on l’a réprimandé ; il ne veut pas d’histoire et pour aller à l’école il doit faire vite. Ses pas soulèvent de petits nuages de sable, il n’a pas connu le temps ou le fleuve abreuvait cette vallée. Les alluvions nourrissaient la terre et le vert repeignait le paysage. Des bœufs y paissaient pendant la saison des pluies. Amadou ne sait pas ce qu’est un fleuve, il a bien vu une carte au tableau de la classe, ces longues stries bleues qui rejoignent la mer ; mais la couleur ne lui suffit pas pour s’imaginer que de l’eau pouvait courir sur le sable.
Derrière les barrières, les machines pompent le précieux liquide, elles vont à plusieurs km de profondeur là ou il y a des lacs d’eau douce. Ces machines sont assoiffées elles remontent inlassablement cette eau pour la propulser dans les arroseurs. Nous pourrions croire que l’eau retourne à la terre mais une grande partie s’évapore, une autre reste dans les cultures exportées vers des pays lointains et le peu restant se perd dans cette terre aride.
Arrivé au puits Amadou soupire de soulagement en entendant le ronronnement de la pompe, il remplit son bidon et le met sur sa tête. De l’eau lui tombe sur son corps le rafraichissant ; il sourit à la pensée qu’il gagnera du temps avec cette douche improvisée. Son souci justement est de ne pas perdre l’or qu’il a sur le crâne, il est vital pour la famille. Il ne sait pas que ce qu’il charrie deviendra la chose la plus précieuse au monde ces prochaines années.
Derrière les barrières, des hommes s’affairent à cueillir les cultures, les mettre dans les cageots, les charger dans des camions qui eux aussi soulèveront la poussière en passant dans le village d’Amadou. Il suffirait qu’un de ces camions apportent de l’eau à la citerne du village tous les jours pour qu’Amadou puisse assister à tous les cours. Mais voilà l’eau des profondeurs n’appartient à personne sauf à ceux qui ont les moyens.
Bientôt toute l’eau du lac souterrain sera pompée. Il ne restera qu’une poche vide sous terre, déjà au Etats unis des crevasses comme des petits canyons apparaissent car la terre s’effondre. Là bas ils ont déjà tout pompé depuis longtemps laissant derrière eux des déserts, des villes fantômes. Le Colorado, à bout de souffle, de sang dans son artère n’arrive plus à l’océan, si vous passer par là vous verrez le dernier ruisseau se perdre dans le désert.
L’eau est un circuit disent certains, peut être mais ces lacs souterrains sont là depuis toujours, le Colorado aussi et l’homme a réussit à les assécher. Les lacs et les fleuves ne se régénéreront pas.